De l’agile sur-mesure et pragmatique dans une équipe de consultants

Écrit par Sarah Spitz, le 09 janvier 2019

En 2015, Karima est manager fonctionnelle d’une équipe inter-générationnelle, allant des millenials aux seniors, qui se voit attribuer des objectifs bien ambitieux pour l’année… Comment motiver et organiser le travail de cette équipe pour les atteindre ?

N’étant « que » manager fonctionnelle, Karima n’avait pas accès aux traditionnels leviers de motivation, la fameuse carotte et le tout aussi fameux bâton. Or, face aux objectifs que l’équipe allait devoir remplir pour l’année, il fallait prendre le sujet à bras le corps… D’autant qu’étant consultants en fiscalité, les déplacements chez les clients sont fréquents et il y a peu de temps de présence partagée pour se coordonner sur les différents projets. Karima s’est donc intéressée aux théories d’Edward Deci et aux idées défendues par Daniel Pink, Isaac Getz et Frederic Laloux. Elle s’est également penchée sur le modèle d’innovation sociale expérimenté par le groupe Poult. Ça a été une révélation : rompant avec le paradigme des autres managers de l’entreprise, Karima a décidé de stimuler la motivation intrinsèque de son équipe. Toute seule, sans se faire accompagner. Elle est comme ça, Karima.

Elle a réuni l’équipe, annoncé les objectifs ambitieux qu’ils allaient devoir remplir, et exprimé la nécessité de trouver un autre système qui marche. Bien entendu, son discours était soigneusement préparé… Délaissant les arguments quantitatifs, elle s’est concentrée sur l’émotionnel et a exprimé l’espoir qu’elle avait pour l’équipe d’expérimenter et de s’approprier des pratiques nouvelles, qui combinent performance et épanouissement au travail, pour souder l’équipe et donner du sens à tout ce temps passé à travailler. Ça a dû être un sacré discours puisqu’à la fin, tous les membres de l’équipe étaient emballés : pas un seul irréductible gaulois n’a protesté !

Bon. Et maintenant ?

Avant, chaque membre de l’équipe avait des clients et des objectifs individuels. Mais ça, c’était avant. Karima est passée cette année-là à des objectifs collectifs basés sur le CA et les livrables de l’année, pour responsabiliser ses collègues et créer une vraie dynamique et cohésion d’équipe. Sa première action a été de demander à chacun ce qu’il estimait être capable de livrer sur l’année. La réponse s’est matérialisée avec des post-its collés sur des panneaux représentant l’année découpée en mois. Ensuite, elle a tout simplement ramassé les post-its pour en faire des objectifs communs. Pour certains des juniors, l’exercice n’était pas forcément facile : elle revoyait alors le planning avec eux et les aidait à réajuster leurs objectifs à certaines réalités.

Je vous entends d’ici : responsabiliser son équipe par des objectifs collectifs, c’est bien beau comme idée… Mais comment en assurer le suivi ?

La réponse fera sans doute horreur à certains agilistes à cheval sur le respect total des rituels, mais tant pis : la solution qu’a trouvée Karima a été de piocher dans les rituels Scrum, de façon tout à fait pragmatique et assumée !

Elle a découpé l’année en mois, qu’elle a représenté sur un Scrum board visible par tous, reprenant les avancements sur les engagements de chacun. Le but étant de voir ce que font les autres, mais aussi de rendre visibles les dossiers qui n’avancent pas. Un résultat direct de cette pratique : Karima a très vite constaté une entraide spontanée : « t’es pas un peu sous l’eau en ce moment ? Moi je suis tranquille dans les semaines à venir, tu veux que je t’aide ? ». Le premier mois, des quick wins ont été privilégiés autant que possible, pour donner un bon coup de motivation dès le début.

Une fois par semaine avait lieu la rétrospective de la semaine, et une fois par mois… (suspense) : la rétrospective du mois. La première prenait une demi-heure, la deuxième une heure puisqu’il fallait aussi effectuer le sprint planning du mois d’après.

Si tout le monde était emballé après le discours de Karima, il faut bien reconnaitre que certaines résistances se sont manifestées à la mise en place de ce système. Certains trouvaient qu’ils travaillaient beaucoup plus que d’autres. Et c’était vrai. Mais grâce au management visuel, au bout de 2 mois, les déséquilibres se voyaient tout de suite. Donc, finalement, l’activité finissait bien par s'autoréguler : les déséquilibres, rendus rapidement visibles, étaient réajustés d’un sprint à l’autre. Pour Karima, tout le monde a joué le jeu parce qu’ils étaient contents que, pour une fois, on ne leur dise pas comment faire, tant que les résultats étaient là. Tout le monde s’est senti valorisé : des seniors apportaient leur expertise à des juniors qui apprenaient et qui appréciaient l’autonomie.

Alors, très rapidement, ça devenait évident : l’équipe allait surperformer. Ça peut paraitre très simple, dit comme ça. Mais la réussite de ce nouveau mode de fonctionnement n’a été possible que grâce à la mise en place de facteurs clés bien spécifiques.

Un premier élément est la gouvernance choisie : Karima s’est inspirée de Poult, qui avait expérimenté le leadership tournant. Karima a pris la casquette d’un membre d’équipe lambda (elle s’est, à ce titre, affectée à des missions de production comme les autres) et chaque mois un nouveau leader de sprint animait l'équipe. Tout le monde y a eu droit, même l'assistante. Cela a permis de révéler certaines personnes, d’habitude plus effacées. Eh oui ! Changez le contexte, et le comportement changera aussi. Pas besoin de formation, tout ça s’est fait très naturellement.

Un autre facteur clé est l’exemplarité de Karima. Voir que la manager s'engageait autant encourageait les autres à faire de même (l’exemplarité est la meilleure façon d’influencer !). Pour elle, la posture de coach plutôt que de chef d’équipe a également fait la différence. Prenons un exemple : lorsqu’il faut choisir entre 2 dossiers à prioriser, là où un manager sur un mode command & control aurait tranché, Karima préférait donner au collaborateur des conseils en se basant sur sa propre expérience dans l’idée de l’aider à trouver une solution par lui-même. Pour autant, bien sûr, elle gardait bien en tête les objectifs financiers : Karima est loin de la conception du bien-être au travail comme une fin en soi.

A la fin de l’année, le constat est on ne peut plus positif : surperformance de l’équipe par rapport à leurs objectifs, mais aussi par rapport aux autres équipes cette année-là. Pas de conflits majeurs à noter non plus, au contraire : rires, dédramatisation de certaines situations qui pouvaient être difficiles chez le client, enthousiasme partagé… Bref, c’était performant mais aussi très chouette.

On vous parle de tout ça au passé, tout simplement parce que depuis 2016, ce modèle d’agilité a été étendu à l’ensemble de la Business Unit.