Gouvernance partagée chez Decathlon : à fond la forme !

Écrit par Luc Bretones, le 24 février 2022

Lorsqu'il a repris la direction de l'entrepôt logistique de Ferrières-en-Brie, Jean-Baptiste Delrieu ne se doutait pas de l'aventure managériale qu'il entreprenait !

La situation sociale était explosive dans cet entrepôt de Decathlon, les débrayages fréquents et l'ancien directeur venait de se retirer après un burn-out. Pendant 3 ans, il s'est donné corps et âme jusqu'à risquer de les épuiser complètement et sans grand succès malheureusement…
 
Jean-Baptiste Delrieu persévéra et décida de rester à son poste avec la volonté féroce de construire sur le long terme un mode de fonctionnement efficace. Il manifestait en particulier le désir de traiter les problèmes à la racine et cela nécessitait de donner plus de pouvoir de décision aux employés de l’entrepôt. La première pierre d'une vaste entreprise, qui, grâce à un profond travail sur soi, devait le mener sur les routes de l'autogouvernance…


Le déclic s’est réellement fait trois ans après cette première prise de conscience, lorsqu'il assista à un séminaire organisé chez Decathlon, de Jean-François Zobrist, le patron des fonderies FAVI et chantre de l'entreprise libérée.

Apporter du sens à ce que l’on fait, casser les hiérarchies, laisser les collaborateurs autonomes dans leurs choix pour accroître la réactivité et la performance de l’entreprise… autant de mantras qui résonnaient en chœur avec les désirs profonds de Jean-Baptiste Delrieu. Plein d’enthousiasme, il tenta de « libérer » son entrepôt de Ferrières. Ce parcours vers le partage de la gouvernance se fit non sans mal et après moults tâtonnements.

Une première tentative non concluante

L’effet waouh initial fut tel qu’il ressentit un véritable élan de la part du personnel de l’entrepôt. Rapidement, le soufflet retomba cependant à mesure que les difficultés organisationnelles apparaissaient. Les managers ne savaient plus où se situer. Les initiatives fusaient de tous côtés sans cohérence, au détriment de l’efficacité. Le comble ? Il assista impuissant à une recentralisation du pouvoir de décision dans les mains de quelques-uns, une centralisation plus contreproductive que celle qui préexistait dans l’organisation traditionnelle ! Nous étions alors loin du partage du pouvoir voulu par Jean-Baptiste Delrieu.

L’expérimentation d’autres formes de prises de décision

En pratique, pour contrecarrer la prise de pouvoir par certains collaborateurs, il testa une structure de décision en mode « conseil » pour organiser de véritables tours de parole - une tentative qui n’aboutit pas. Parallèlement, il prit le temps de réfléchir au concept même de décision partagée. Il découvrit que ce n’était pas la majorité qui lui permettrait d’autonomiser son entrepôt mais la prise de décision par consentement.

La gestion par consentement est empruntée à la sociocratie, ce mode de gouvernance organique, évolutif, particulièrement souple et participatif, responsabilisant et autonomisant, popularisé notamment par Frédéric Laloux dans son best-seller Reinventing Organizations.

Toutefois, Jean-Baptiste Delrieu a préféré adapter la sociocratie aux particularismes de son entrepôt sans en adopter tous les éléments. S’il a progressivement façonné ses équipes en cercles et que des rôles ont été attribués selon les principes sociocratiques, les procédures de réunions dessinées par ce mode de gouvernance partagée ne sont pas strictement respectées, principalement pour ne pas effrayer les plus réfractaires. Par exemple, le rôle de facilitateur qui est celui qui permet de lever les objections pour aboutir à une décision acceptée par tous, n’existe pas encore à proprement parler dans la gouvernance de l’entrepôt. Jean-Baptiste a le temps et souhaite que la méthode soit améliorée au fur et à mesure des itérations.

Des résultats prometteurs

La remise en question du directeur de l’entrepôt de Ferrières paie. La mise en place d’un tel mode de gouvernance par consentement fonctionne véritablement. Parmi les indicateurs clés mesurés chez Decathlon tous les ans, le bien-être au travail est particulièrement scruté par Jean-Baptiste Delrieu. Celui-ci a, l’année dernière, évolué positivement. L’engagement des collaborateurs et leur plaisir à travailler atteint des niveaux très élevés ce qui a nécessairement un impact sur la productivité et la performance des équipes.

Les facteurs de succès sont multiples. Tout d’abord, se lancer dans une telle réorganisation nécessite, par sa nature, un profond travail sur soi, une véritable gageure pour un manager formaté depuis toujours à la hiérarchie. Accepter de faire confiance et admettre que ses collaborateurs ont la légitimité pour prendre des décisions nécessite aussi de prendre du recul sur ses propres actions, adopter une position critique sur sa manière d’être et de faire.

De tels efforts ont été fournis avec le coup de pouce ô combien précieux de l’Université du Nous. L’œil expert et neutre des consultants de ce cabinet spécialisé dans la bascule vers une nouvelle génération d’entreprises, a accompagné l’entrepôt de Ferrières et son directeur dans la transformation de leur mode de gouvernance.

Enfin, un soutien de la hiérarchie est crucial, d’autant plus lorsque la réorganisation ne concerne qu’une entité et non l’organisation dans son intégralité. Jean-Baptiste Delrieu a en réalité saisi l’opportunité que lui offrait en 2019 le renouvellement du top management lequel voyait avec un œil bienveillant la libération de l’entreprise chère à Jean-François Zobrist. De bout en bout, Jean-Baptiste Delrieu a tenu sa hiérarchie informée de l’expérience qu’il conduisait.

Un modèle qui a donné des idées à d’autres entrepôts

Avec un peu de recul, l'entrepôt de Ferrières a servi de pilote. Régulièrement, Jean-Baptiste Delrieu recevait ses collègues d'autres entrepôts qui venaient expérimenter la pratique des outils sociocratiques (élection sans candidat, décision par consentement, etc.) et échanger in vivo avec le directeur de l'entrepôt de Ferrières sur le fonctionnement de sa méthode. Effet viral garanti, renforcé par la communication de bons indicateurs de performance. En outre, les échanges réguliers entre employés des entrepôts de Decathlon a renforcé cet essaimage dans l’entreprise, leur parole apparaissant profondément légitime puisqu'ils sont les premiers concernés.

Jean-Baptiste Delrieu a, de plus, mis en place un espace de codéveloppement visant à enseigner à qui le veut le fonctionnement des méthodes de gouvernance partagée, les rôles de facilitateur, de manager premier lien, ou encore de second lien. L'objectif consiste à ce que l'entrepôt s'autonomise sur l'accompagnement des collaborateurs dans leur apprentissage de la gouvernance partagée et l'amélioration de leurs compétences.

Cet approfondissement des connaissances permet aux collègues de Jean-Baptiste Delrieu d'essaimer hors de leur entrepôt. Pendant le confinement, ils ont ainsi monté une formation en ligne dans laquelle un groupe de collaborateurs de Ferrières avait le rôle d'accompagner les participants de ces réunions en ligne. Ce groupe deviendra à terme, un premier pool de formateurs interne.

La belle réussite de Jean-Baptiste Delrieu à Ferrières a fini de convaincre l’entreprise de lui créer un poste taillé sur mesure : transformer avec l’aide de l’Université du Nous six autres entrepôts de Decathlon à l’image de ce qu’il a réalisé à Ferrières. Un nouveau rôle que Jean-Baptiste a accepté en quittant la direction de son entrepôt neuf ans après l'avoir rejoint pour assouvir sa passion de l’autogouvernance et prêcher la bonne parole sociocratique dans le reste de l’entreprise.