Ils osent la démarche Opale chez EDF !

Écrit par Adèle Boinnot, le 05 septembre 2018

 

La question de la responsabilisation de ses collaborateurs est une priorité pour EDF, entreprise historiquement très hiérarchisée et cloisonnée. Comment créer et viraliser, dans ce contexte, des équipes plus confiantes et autonomes, capables de créer plus de valeur ? Une centaine de collaborateurs EDF osent, et expérimentent de nouvelles méthodes de manière assez disruptive…

Tout commence en avril 2017, lors de la remise des prix du challenge d’innovation d’EDF : le lauréat du thème « innovation managériale » propose de mettre en place une « démarche Opale* », proposition d’ailleurs secondée par un autre projet. Animées par la même vision, les deux équipes fusionnent et lancent bientôt un appel à candidature au sein d’EDF. Leur objectif : trouver des managers volontaires pour s’embarquer dans cette expérimentation (et leur équipe avec : c’est toujours mieux).

Leur appel ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, ni de deux (ou trois), puisque c’est au total... sept équipes qui sont sélectionnées pour expérimenter la démarche, rien que ça ! Parmi elles, l’équipe de Ludovic Giusti, manager de 40 techniciens répartis sur deux équipes opérant sur des sites de production hydroélectrique dans la région de Strasbourg. Donc des profils techniques, purement opérationnels comme on dit dans le jargon, et a priori pas le public le plus porté sur l’innovation managériale. Et pourtant ! Le reportage du Bonheur au Travail avait déjà planté la graine de « modes de fonctionnement différents » dans l’esprit de Ludovic quelques années plus tôt. L’appel à candidature de la « démarche opale » est donc une évidence pour lui... Reste à embarquer ses collaborateurs.

On sent qu’il y a quelque chose de différent par rapport aux autres équipes. - Ludovic Giusti

Pour rendre la démarche plus concrète, Ludovic et son équipe commencent par organiser plusieurs bootcamps, lors desquels les collaborateurs sont amenés à réfléchir, à échanger et à se projeter sur les quatre dimensions de la démarche : Gouvernance et prise de décisions, Organisation du travail (communication et échange), Recrutement, évaluation et développement personnel, et Lieux de travail.

Et contrairement à d'autres équipes, ils décident d’avancer simultanément sur les quatre dimensions. Tout simplement parce que l’important, pour eux, c’est d’avoir des petites victoires rapides qui donnent confiance à la fois aux agents et à la direction et montrent qu’il y a bel et bien du concret mis en place (pour le coup, le changement, c’est vraiment maintenant). Dans cette optique, les initiatives et idées sont jugées selon deux critères : l’impact sur l’équipe et la faisabilité (« est-ce à notre main ? »). Ils déclinent donc leur démarche en quatre chantiers, chacun mené par des équipes dont les membres sont perméables : certaines équipes travaillent sur plusieurs chantiers en même temps tandis que d’autres se concentrent sur un seul.

Parmi leurs réussites les plus parlantes, on peut citer la co-construction par les agents et l’équipe-cadre du planning d’intervention sur les centrales hydroélectriques, véritable colonne vertébrale de leur fonctionnement. Auparavant établis par un cadre, ce plan de charge d’activités implique désormais deux ou trois agents volontaires, ce qui leur permet de prendre du recul sur leur activité et rend le planning plus réaliste et mieux construit. Avant de trouver ce fonctionnement, ils ont tenté de faire le planning tous les jeudis avec l’ensemble des agents... avant de vite se rendre compte que c’était juste impraticable.

Quelques exemples de mise en application sur les autres thèmes ? Il suffit de demander.

Le partage de bonnes pratiques et l’amélioration de la performance :
Durant les réunions d’encadrement mensuelles, chaque site invite un agent travaillant sur l’autre site pour l’aider en apportant son expertise sur un sujet et pour récolter et partager des bonnes pratiques pour sa propre centrale. Une bonne manière de démystifier ces instances obscures pour le commun des agents.

La transparence et la gouvernance partagée :
Les CODIR miroir : une fois par trimestre, une équipe constituée de techniciens non cadres, issus des deux centrales, est invitée à travailler sur des thématiques spécifiques, soumises par le CODIR pour certaines, ou remontées par les techniciens pour d’autres. Cela permet d’aider le CODIR à travailler sur des thématiques dont ils n’ont pas forcément conscience, d’avoir des retours du terrain sur les besoins ou problématiques et de faire du partage de bonnes pratiques entre techniciens.

La convivialité :
Sur certains sites, il n’y a pas de cantine. L’idée a donc été de faire appel à un traiteur local afin d’avoir un déjeuner garanti à un tarif préférentiel, mais surtout d’améliorer le quotidien des agents. On peut aussi citer d’autres pratiques, comme l’évaluation 360° pour que les managers puissent également s’améliorer, le brunchstorming (un instant de respiration collective et de prise de recul), le réaménagement des bureaux pour rendre propice l’expression libre, la gamification pour monter en compétence…

Si les pratiques mises en place fonctionnent plutôt bien et sont appréciées, il n'empêche que l'équipe rencontre aussi quelques difficultés. La première, d'après Ludovic, c'est l’ego. Le sien, celui des autres managers de son équipe, celui de ses agents aussi, sans oublier l’ego de certains membres d’autres services pour qui il est mal vu d’adopter une position de leader serviteur, à l’opposé des attitudes ancrées de chef contrôleur. C’est dans ce genre de situation que Ludovic demande de l’aide à l’équipe à l’origine de la démarche Opale : il s’agit là d’accompagner certains collaborateurs via des coaching collectifs et des formations afin qu’ils comprennent le sens d’une cohérence managériale et s’approprient véritablement cette nouvelle position.

La deuxième difficulté rencontrée est le temps : pas facile d’en trouver pour réunir l’équipe et prendre du recul, ce qui se révèle handicapant pour leur progression.

Troisièmement, il y a la peur du regard des autres. En effet, des équipes embarquées dans la démarche Opale ne fonctionnent plus comme les autres équipes, et ne se mesurent donc plus aux symboles de réussite (personnels ou d’équipe) habituellement mis en avant. Ce décalage peut évidemment faire peur, et les commentaires reçus peuvent être ressentis par certains comme une atteinte à leur professionnalisme.

Enfin, le frein culturel d’une entreprise historiquement très hiérarchisée et codifiée n’est pas négligeable. Certains collaborateurs, dans leurs croyances, leurs envies, voire leurs besoins, ne changeront pas...

Malgré ces difficultés, les résultats sont très positifs. Il n’y a pas de point bloquant à la mise en œuvre de la démarche Opale. Si certaines personnes ne souhaitent pas changer leur approche du travail, chacun fait de son mieux. La démarche se viralise même plutôt naturellement, malgré les quelques réticences initiales.

Au début je n’y croyais pas, je l’ai fait pour te faire plaisir… mais maintenant je comprends le positionnement et l’intérêt, j’y crois. - Un collaborateur

L’important pour Ludovic, c’est de ne pas forcer à adopter la démarche mais bien de sensibiliser (à travers des Learning expeditions par exemple) pour donner envie.

Aujourd’hui, plus d’une centaine de personnes échangent sur la démarche Opale sur Yammer. Les appels à candidature pour participer à la démarche s’intensifient (une quinzaine d’équipes rejoindront la démarche en novembre) et le résultat se reflète très positivement dans les réponses des questionnaires sur l’engagement au travail…sentiment positif, engagement, sens, valorisation reviennent très souvent.

*en référence au stade opale d’évolution des organisations théorisé par Frédéric Laloux