La sociocratie, accélérateur de la transformation digitale de Adeo

Écrit par Luc Bretones, le 09 septembre 2021

Lorsqu’un groupe subit la concurrence féroce de nouveaux concurrents 100% digitaux, la réorganisation apparaît souvent comme une solution - que l’on espère miracle. Trop souvent elle prend la forme d’une rationalisation des coûts et aboutit à des plans de licenciements. Parfois, elle suit une trajectoire différente : une réorientation complète du management d’équipe et une évolution radicale du mode de gouvernance. Et si ADEO dont la transformation puise son inspiration aux sources de la sociocratie et sur les rives de l’Amazone traçait un sillon original que pourrait suivre la nouvelle génération d’entreprises ?

Gaëtan Belbeoch aime voyager loin et relever des défis. Ayant fait une partie de sa carrière au Brésil chez Leroy Merlin, il a pris au bout de quelques années une année sabbatique, qu’il a passée dans un village Yanomani, une ethnie d’Amazonie répartie en une multitude villages autonomes, chacun dirigé par un chef. De retour en France, lui a été confiée la tâche de redresser l’expérience client d’ADEO et d’améliorer le fonctionnement de la Direction de l’Expérience Client Digitale dont il a alors pris la tête. Son expérience amazonienne fut fondatrice : elle explique une grande partie des choix qui l’ont guidé dans la transformation de la gouvernance de sa Direction.

Leader européen sur le marché de l’amélioration de l’habitat, le groupe ADEO abrite plusieurs chaînes de bricolage de grandes et moyennes surfaces, dont son enseigne phare Leroy Merlin, fondée en 1923, dans le Nord de la France. L'arrivée de nouveaux concurrents tels qu'Amazon pose aujourd’hui un défi de taille. Faire face à la nouvelle vague d’acteurs de la révolution numérique nécessitait de revoir de fond en comble l'expérience des visiteurs sur les sites web du groupe.

Pour améliorer l'expérience client, Gaëtan Belbeoch s'est appuyé sur un trait saillant de la culture de Leroy Merlin : la compétence et la qualité du service aux clients en magasin. Les vendeurs de l'enseigne sont reconnus comme conseillers experts et sont bien souvent passionnés par leur métier. L'idée fut donc d'appliquer au web cette caractéristique culturelle commune. Une réussite : depuis un an, le site Internet de Leroy Merlin truste la première place en termes de satisfaction client (étude YouGov, avril 2021, Retail & E-commerce : quelles enseignes ont le plus performé en termes de Satisfaction ?).

Parallèlement, la concurrence imposée par les pure players a entraîné un autre effet bénéfique : celui d'accélérer la transformation de la gouvernance d’ADEO. En effet, si chaque magasin du groupe se plaît à cultiver une certaine indépendance, face à cette nouvelle concurrence qui lui taillait des croupières, une riposte rapide et d'ampleur s’imposait. Cette réponse devait être centralisée, tout en maintenant une autonomie en local. Un subtil équilibre qu’ADEO s'est attelée à trouver, en fédérant la fonction digitale pour mieux la déployer partout en Europe. Pour améliorer l’efficacité de ses équipes, Gaëtan Belbeoch est parti d’un constat avant de tout changer. Les méthodes Agile, populaires dans le monde digital, sont nécessaires pour travailler efficacement au sein de petites équipes très autonomes d’une dizaine de personnes maximum. Elles permettent notamment de produire des livrables sur un temps court et dans un environnement mouvant, d'obtenir un feedback très rapide et de s'améliorer en continu. Lorsque le nombre d’équipes devient important, il devient rapidement difficile d’assurer la cohérence entre ces équipes en préservant leur autonomie. Il manquait un mode de gouvernance adapté pour accompagner et pérenniser le changement de direction voulu par le Groupe.

L’efficacité d’un mode de gouvernance se mesure à l’aune de la productivité du travail collaboratif. Ainsi les réunions inter-équipes occupent une place centrale dans le développement et la qualité globale d’un produit. Or, au moment de la réorganisation, le niveau de confiance des équipes était au plus bas : au redémarrage du projet, certains étaient si insatisfaits de leur travail qu’ils n’osaient plus rencontrer leurs clients métier. Après un redémarrage réussi avec une vingtaine de personnes divisées en quatre équipes, suivant les principes rigoureux de la méthode XP (Extreme Programming), le programme s’est accéléré et d’autres équipes l’ont rejoint. Trois ans après, ils sont organisés en une douzaine de petites équipes agiles regroupées en trois ou quatre “streams” autour de thématiques métier.
Pour garder l’efficacité et le maximum d’autonomie, le choix de Gaëtan Belbéoch, mûrement réfléchi, porta alors sur un alignement des équipes et une gouvernance légère et collective. Élection sans candidat des doubles liens, des cercles qui se montent selon les besoins, facilitateurs qui tournent à chaque réunion : pas de doute, nous sommes bien en sociocratie.

Contrairement aux pyramides du modèle hiérarchique traditionnel, les équipes de la Direction sont autonomes : elles sont structurées en cercles sociocratiques. Elles établissent leur fonctionnement et définissent leur organisation sur la base du consentement de ses membres. Cela signifie qu’aucune décision importante ne peut être prise si un de ses membres y oppose une objection raisonnable.
Parallèlement, la hiérarchie n’a pas pour autant disparu mais elle est davantage consentie. Certains cercles sont de rang supérieur, d’autres de rang inférieur. Chacun de ces cercles est relié aux autres. Cependant un cercle de rang inférieur n’est pas relié au cercle de rang supérieur par une seule personne, mais par deux. L’une est désignée par le cercle de niveau supérieur pour le représenter au sein du cercle de niveau inférieur. Et une autre est choisie par le cercle de niveau inférieur pour le représenter au sein du cercle de niveau supérieur. La première personne s’apparente au manager du modèle traditionnel, la seconde à la notion de leader coopté par l’ensemble de l’équipe pour les représenter au niveau supérieur.
Enfin, le choix et l’affectation du membre d’un cercle dans une fonction au sein de celui-ci s’opèrent à travers un vote sans candidat déclaré. Chaque membre du cercle propose la personne qu’il estime correspondre le plus à la fonction, puis doit motiver son choix. L’absence de candidat assure l’absence de perdant et la conviction de tous que le meilleur choix possible a été fait.

La gouvernance sociocratique mise en place dans cette direction d’ADEO se colore néanmoins d’une teinte originale. Outre son appétence pour le mode Agile, Gaëtan Belbéoch a été marqué par son expérience décisive vécue chez les Yanomani en Amazonie. A l’image d’ADEO, cette ethnie regroupe un certain nombre de communautés indépendantes dispatchées sur un territoire gigantesque mais liées par une même culture. Les profondes convictions que Gaëtan Belbeoch a ramené d’Amazonie se marient tout à fait avec les principes de la sociocratie. Dans ces villages, le chef est sans le savoir un leader de nouvelle génération. Chose peu commune dans les organisations pyramidales, il participe en première ligne à l’effort de production. De plus, il ne valide les décisions importantes qu’après avoir reçu l’accord du conseil des anciens, réuni pour l’occasion. Chaque soir, il organise un cercle donnant la possibilité aux villageois d’exprimer et de partager simplement leurs propositions et leurs états d'âme. Cette session de tour de parole assez brève ressemble beaucoup aux réunions d’un cercle sociocratique, soulage les tensions et règle les conflits.
Le principal risque de division dans ces communautés amazoniennes est lié soit à des tensions latentes qui dégénèrent jusqu’à la séparation de la communauté, soit à une raréfaction des ressources de nourriture proche du village, qui pousse un groupe à sortir pour fonder une nouvelle communauté plus loin.

Chez ADEO, au sein des équipes Expérience Client Digitale, une sorte de standup meeting quotidien où sont abordés les sujets irritants en plus de la simple synchronisation d'équipes permet aux leaders de sentir les tensions et de les résoudre avant qu'elles ne génèrent trop de frustration dans les équipes. En outre, en l’absence de gros projets, l’ennui peut guetter l’équipe et les envies de départs peuvent devenir plus vives. Diviser l'équipe initiale pour confier à certains de ses membres le développement d’un nouveau projet permet alors de redonner du sens et de l’énergie aux collaborateurs en ouvrant de nouveaux horizons à l’entité.

Sous l’impulsion d’un responsable résolu et grâce à la sociocratie, pour faire face à Amazon, la Direction de l'Expérience Client Digitale d’ADEO s’est ainsi réorganisée avec succès... en un simili village Yanomani d’Amazonie.

 

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